Ma tribune dans Libératin et une invitation pour ce dimanche
On a rarement entendu la voix des nouveaux arrivants en France. J'ai publié une tribune dans Libé du 20 décembre. Comment recevoir la loi immigration autrement que comme du rejet et de l’ingratitude ?
La nouvelle loi immigration prévoit le durcissement des conditions d’octroi des prestations sociales aux nouveaux arrivants, la fin de l’automaticité du droit du sol ou le rétablissement du délit de séjour irrégulier.
Dans ma tribune, je parle du sentiment de rejet et de l’ingratitude que des millions de nouveaux arrivants en France et les Français avec les parents immigrés ont vécu. Avant de la partager ici avec vous, je voulais vous parler d’une autre France à contre-courant de cette polémique absurde. La France humaniste et rationnelle. J’ai découvert énormément de Françaises et Français qui ont contesté ouvertement cette aberration qui est la nouvelle loi discriminatoire d’immigration. Ce n’est pas dans les habitudes de ma newsletter, mais je vous invite à une manifestation :
À la suite de l’adoption de la loi sur l’immigration en décembre dernier, SINGA ainsi que des centaines d’organisations et personnalités d’horizons divers (du monde économique, syndical, artistique, associatif, politique…) unissent leurs voix pour appeler à la mobilisation ce dimanche 21 janvier.
📍 Pour rejoindre un des 119 lieux de manifestation en France, RDV sur 21janvier.fr et sélectionnez un département ou entrez votre code postal.
Un aperçu des RDV 👉
Bordeaux : Place de la Bourse, 14h
Lyon : Place Bellecour, 14h
Nantes : Miroir d’eau, 11h
Marseille : Porte d’Aix, 14h
Montpellier : Plan Albert Ier, 14h30
Paris : Place du Trocadéro, 14h
Strasbourg : Place Kléber, 14h30
Valence : Place de la Gare, 15h
Avant ma tribune, j’ai envie de parler de Claire Mathieu, directrice de recherche en informatique au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui a démissionné jeudi 21 décembre 2023 du Conseil présidentiel de la science en désaccord avec cette loi. Elle a quitté l’organe lancé le 7 décembre 2023, dénonçant une loi « d’extrême droite » et « xénophobe ».
« En effet, si au lieu de vous c’était l’extrême droite qui était au pouvoir, j’aurais refusé de participer à ce conseil. Or, la loi anti-immigration est une loi d’extrême droite, une loi xénophobe, d’exclusion et de repli sur soi », justifie la membre de l’Institut de recherche en informatique fondamentale (IRIF), dans un courrier directement adressé à Emmanuel Macron.
Claire Mathieu n’est pas la première scientifique à avoir vivement désapprouvé cette loi. Dans une tribune au Monde, le président-directeur général du CNRS, Antoine Petit, a alerté sur l’« image dégradée » de la France qui pourrait résulter du texte, laquelle « nuira[it] à l’ensemble de nos coopérations scientifiques. internationales » et affecterait l’attractivité du pays en matière universitaire.
“Se priver des bienfaits de l’immigration est suicidaire”
Pour l’économiste Emmanuelle Auriol, professeure à la Toulouse School of Economics et coauteure d’une note sur l’immigration en 2021 pour le Conseil d'analyse économique, les élus qui ont voté la loi immigration « perçoivent l'immigration comme un fardeau » alors qu'elle représente une aubaine.
La France est à contre-courant des besoins économiques et fait des choix qu'elle regrettera par la suite. Il faut bien sûr s'occuper des personnes en situation irrégulière qui commettent des crimes. Mais cela n'a pas grand-chose à voir avec le fait que la quasi-totalité, 95 % des personnes qui émigrent, le fait pour des motifs économiques. On a tort de vouloir se priver de l'immigration. Se priver de ses bienfaits économiques est suicidaire.
Ce n'est pas un hasard si les vaccins ARN Messenger ont tous été inventés par des chercheurs étrangers. Aux États-Unis, 30 % des brevets sont déposés par des personnes d'origine étrangère, bien qu'ils ne représentent que 13 % de la population américaine.
Nos élus, eux, raisonnent sans penser à l'économie, en croyant qu'il s'agit de se partager un gâteau à taille fixe. Or, l'économie française est en croissance depuis la Seconde Guerre mondiale. Il faut donc raisonner sur un système dynamique, un gâteau qui grossit.
Loi immigration : Nous sommes des millions à nous sentir rejetés par le plus haut sommet de l’Etat et les institutions de notre démocratie
Tribune publiée le 20 décembre 2023 dans Libération
Je parlais récemment avec un entrepreneur français d’origine polonaise qui me parlait de son enfance dans un «camp d’immigrés» en Ile-de-France. C’est ainsi qu’il décrivait la cité fermée où sa famille a été logée dans les années 1950. Comme de nombreuses familles venues surtout d’Europe de l’est et d’Afrique du nord et de l’ouest, sa famille s’est retrouvée là pour travailler dans les usines françaises. Leurs enfants sont devenus commerçants, fonctionnaires d’Etat, artistes, chercheurs ou entrepreneurs comme Alexandre qui me racontait cette histoire. La reconstruction de l’économie française après la deuxième guerre mondiale n’aurait pas été possible sans eux. Ils ont été des contributeurs indispensables.
Nous, les immigrés et nos enfants avons également contribué au rayonnement culturel, scientifique, sportif et économique de la France dans le monde entier. Marie Curie, Charles Aznavour, Dalida, Romain Gary, Leila Slimani, Zinedine Zidane, Kylian Mbappé, Roxanne Varza, Zar Amir Ebrahimi ne sont que quelques exemples. Ils et elles ont participé à des moments historiques de notre pays et ont rendu des dizaines de millions de nos concitoyens fiers d’être Français.
Aujourd’hui, nous sommes 7 millions d’immigrés vivant en France, soit 10,3 % de la population totale. 2,5 millions entre nous, soit 35 % parmi nous, ont acquis la nationalité française. La France compte également 7,6 millions d’enfants d’immigrés, donc nos enfants, dont près de la moitié a deux parents étrangers. Au total, nous et nos descendants immédiats représentons désormais plus d’un cinquième de la population française soit au moins 21,4 % des habitants du pays.
En tant que président de Singa, j’ai assisté au débat sur le projet loi immigration au Sénat et à l’Assemblée nationale. Dans les deux chambres parlementaires, dans la bouche des représentants de la Nation, le mot immigration était majoritairement synonyme de menace et de crise. Pour une poignée de parlementaires, immigration ne rimait qu’avec délinquance, criminalité et voile. Du 6 novembre 2023, la date de la présentation du projet loi au Sénat, au 18 décembre, le jour où le gouvernement a trouvé un accord avec la Commission mixte paritaire, on a assisté au festival des horreurs sur l’immigration (l’ironie du calendrier : le 18 décembre est la journée internationale des migrants). J’ai été le témoin direct de ce narratif xénophobe déroulé sans complexe dans les tribunes parlementaires. Mais des millions de nos concitoyens l’ont vécu dans les médias et sur les réseaux sociaux.
Comment recevoir ces mots et cette loi ? Nous sommes aujourd’hui des millions à nous sentir rejetés par le plus haut sommet de l’Etat et les institutions de notre démocratie. Quand on réussit, on est contraint de cacher nos origines et d’invisibiliser les efforts et les sacrifices qui nous ont permis d’arriver là nous nous trouvons. Mais quand il y a le moindre dysfonctionnement dans nos parcours, toute la responsabilité est renvoyée sur nous et nos origines immigrées. La «République» ne veut pas reconnaître les sacrifices faits pour notre pays d’accueil mais aussi pour nos enfants, dont leur CV aurait quatre fois moins de chance d’être accepté à cause de leur prénom. Nous sommes moins payés par rapport à nos diplômes, nous nous levons plus tôt et rentrons chez nous plus tard que les autres car nous sommes obligés de travailler plus pour subvenir aux besoins de nos familles mais aussi rattraper le déclassement socio-économique que certains d’en nous subissent en arrivant. Selon l’Insee, pendant la pandémie covid-19, il y a eu 9 fois plus de décès par rapport à la moyenne nationale parmi les personnes d’origine d’Afrique subsaharienne car elles et ils étaient en première ligne pour garder le pays debout. Face à cette décision du Parlement, nous sommes atterrés, elle signe l’ingratitude permanente d’une partie de la classe politique française à notre endroit.
Ces dirigeants politiques sont incapables de mesurer l’impact de leurs décisions sur notre moral. En 2015, la tentative heureusement inachevée d’introduction de la déchéance de nationalité pour les Français binationaux avait été un coup dur. La loi immigration accentue un sentiment de rejet, d’ingratitude car elle inscrit dans la loi une discrimination des personnes immigrées.
On s’illusionne enfin avec l’idée d’une «immigration choisie». Dans le climat actuel, non seulement les talents étrangers ne feront pas le choix de s’installer dans un pays où leur statut est de moins en moins protégé par la loi, mais il est fort à parier que les personnes immigrées présentes pensent aussi à partir. Une perte d’attractivité de la France pour les talents étrangers qui devraient profiter aux monarchies pétrolières du golfe persique ou de l’Amérique du Nord.
Au même moment, nous sommes quand même rassurés de voir que des représentants de la société civile se sont exprimés contre ce projet de loi irrationnel. Le patronat, les universités, les médecins l’ont aussi contestée. Signe qu’il existe encore du bon sens dans ce pays. J’invite le gouvernement à répondre à notre appel pour organiser une Convention citoyenne sur l’immigration, incluant les premières personnes concernées dans le processus. La France a généreusement embrassé les migrations. Elle en a aussi beaucoup bénéficié. Et elle en a encore besoin pour assurer un avenir prospère pour nos enfants.
Rooh Savar, président de SINGA, cofondateur de Welcome Account
Le 20 décembre 2023
PS : Désolé de l’avoir partagé ici qu’un mois plus tard. J’ai seulement un week-end par moi pour m’occuper de ma newsletter et je l’attends impatiemment à chaque fois.
Un sentiment de rejet partagé
De nombreux immigrés et descendants d’immigrés ont partagé leur choc, leur tristesse ou leur colère face à ce changement de paradigme de leur pays de naissance ou d’accueil.
Éliane, Naturalisée Française l’année dernière, elle a accepté de parler de son ressenti au HuffPost.
« Quand on entend les discours et les conversations autour de cette loi, on ne peut que se sentir visé, explique-t-elle. Pour faire ces études, j’ai été soutenue par l’État et me suis engagée à exercer dans une zone sous dotée en médecins en échange d’un prêt étudiant. Mais si cette loi était passée il y a dix ans, je ne sais pas si j’aurais pu en arriver là. J’ai toujours travaillé, mais je me sens pointée du doigt et jugée parce que je n’ai pas les mêmes origines que les Français “blancs”. Je trouve ça regrettable. »
L’immigration est féminine
L’immigration, comme tous les sujets de société, est complexe et multifacette. L’image et l’imaginaire propagé de l’immigration sont très masculins. On visualise normalement une masse d’hommes à couleurs de peau foncée. Ici aussi on invisibilise la moitié de la population. L’exil est un fragment minoritaire et exceptionnel du phénomène migratoire. On peut imaginer qu’à cause les épreuves dures et parfois violentes que les personnes exilées vivent, ce phénomène doit être très masculin. Néanmoins, les femmes représentent près de la moitié des personnes exilées dans le monde, selon le Réseau européen des migrations.
France Info a recueilli les témoignages de trois femmes en exile que je vous conseille de lire; Bien que ces difficultés soient partagées, la trajectoire de chaque femme est unique. Ce qui les caractérise, "ce n'est pas l'exceptionnalité de leur mouvement mais plutôt le fait qu'elles transgressent l'immobilité à laquelle elles ont été assignées", écrit la chercheuse Camille Schmoll dans Les Damnées de la mer (éd. La Découverte). Malgré leur vulnérabilité, leur expérience de la marge est aussi un endroit "de déploiement de nouvelles solidarités et de formes de lutte". Alors que le projet de loi immigration a été adopté par le Parlement, mardi 19 décembre,
Recommandation 2024
Homicide : Life in the street
Elle est l’une des meilleures séries policières de tous les temps.
Créée en 1993, elle est l'une des pionnières de l'âge d'or des séries, "Homicide" nous ramène au cœur du département d'homicide de Baltimore aux États-Unis où le taux de crime est particulièrement élevé. L'histoire est basée sur un livre de David Simon le créateur de The Wire ou il raconte ses observations au sein du département de crime de la police de Baltimore. (On peut deviner que le personnage de Brodie le journaliste dans la série est inspiré par le maître créateur.)
À travers ces crimes de meurtriers, la série traite les discriminations systémiques raciales, de classe, de genre et d'orientation sexuelle ancrées dans la société américaine. En regardant cette série 30 ans après sa création, on se demande à quand une série française qui oserait ouvertement et subtilement mettre ses sujets au cœur de son histoire.
Ce qui est exceptionnel dans Homicide, c'est qu'elle a une dizaine de personnages principaux, chacun avec sa propre spécificité. On ne s'ennuie jamais pendant 7 saisons, chacune contenant une vingtaine d'épisodes. Les personnages bien travaillés, les scènes remplies de sens figurés et propres, et les dialogues simples en toute subtilité rendent cette série extraordinaire.
À la différence de la majorité de série policière/criminelle créée par les gens "intelligents" où on mystifie à l'outrance le crime, le criminel et l'inspecteur de police, les créateurs d'Homicide ont fait le choix de simplicité et de réalisme. On est dans une dramaturgie minimaliste. Les criminels sont ordinaires. Les policiers sont drôles, tantôt dévoués tantôt égoïstes. On se plonge rarement dans leurs passés mais on suit minutieusement leurs états actuels respectivement, pro mais aussi pro. La série nous offre sur l'écran la banalité de crime et la facilité des antagonistes. Le seul élément profond et solide de cette série, c'est la société et ses mécanismes. C'est un bijou cette série.
Ps : Sur mon compte Instagram j'ai partagé une scène prophétique de la série sur la révolution informatique qu’on a vécue depuis la diffusion de la série en 1993. Regardez !
Parlant des séries télévisées, je vous écris deux mots mais sur un autre genre.
Vous étiez nombreux à avoir aperçu ma petite tête dans le teasing de l'émission Qui veut être mon associé ? sur M6 car j'ai reçu énormément de messages mercredi soir. Je ne peux pas vous en dire plus. 🤐
Soyez patients et continuez à regarder cette belle émission en février et au moins de mars. En attendant, suivez Welcome Account 🏦 and stay tuned!!! 📣
Est-ce que ce numéro vous a plu ? N’hésitez pas à le partager par mail ou sur les réseaux sociaux avec celles et ceux qui vous semblent pertinents.
Bon week-end et peut-être à demain !
RoohSavar