La jeunesse issue des migrations : sans visage, sans voix !
Vous aussi vous êtes certainement secoués par la mort tragique de Nahel tué par un policier le 27juin. Et probablement submergés par les contenus sur les réseaux sociaux et les chaînes d'info.
Bonjour !
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Avant de vous faire part de mon opinion sur l’épisode tragique qu’on a vécu ses derniers jours et son traitement médiatique, je tiens à vous partager des sages conseils d’un écrivain concernant nos rapports avec les actualités et les infos en continu.
L'écrivain et futurologue Richard Watson ne suit pas les actualités de manière conventionnelle. Il consulte rarement les réseaux sociaux et les chaînes d’infos en continu. Ça peut paraître en effet un peu atypique pour un futurologue. Mais croyez-moi, beaucoup de chercheurs mais aussi de journalistes aussi se déconnectent régulièrement des actualités. Vous vous demandez probablement commet ils se tiennent informés ? Voici 10 conseils de Richard Watson pour rester informé sans être submergé :
1️⃣ Pratiquez l'ignorance sélective
Vous ne pouvez pas tout lire ou tout penser, alors gardez cela à l'esprit lorsque vous choisissez votre matériel.
2️⃣ Éclatez la bulle
Prenez au hasard des livres et des magazines, et engagez la conversation avec des inconnus.
3️⃣ Trouver les "grands poppies"
Cultiver un réseau de personnes curieuses et remarquables qui sont avides d'informations intéressantes et peuvent guider notre réflexion.
4️⃣ Prenez la route
Voyager. Mais encore une fois, empruntez des chemins inexplorés.
5️⃣ Trouvez des sources fiables
Suivez des publications et des journalistes en ligne fiables, réfléchis et tournés vers l'avenir, et laissez-les faire le gros du travail en trouvant les informations les plus intéressantes pour vous.
6️⃣Chill out
Détendez-vous ! Les nouvelles importantes vous trouveront. C'est sûr.
7️⃣ Consacrez du temps à la lecture
Réservez chaque année une semaine à la réflexion.
8️⃣ Accueillez le silence
Apprenez à regarder et à écouter profondément. Cessez de parler. Commencez à écouter. Soyez curieux en permanence.
9️⃣ Ne pas utiliser les médias sociaux
Les informations courantes sont courantes, et il y en a beaucoup en ligne. En revanche, les informations surprenantes recueillies par des personnes curieuses sont précieuses et valent la peine d'être recherchées.
🔟 Faites le vide
Enfin, éteignez les communications une fois par semaine et tous les soirs.
Avant d’attaquer mon sujet principal, je me permets de faire une petite pub. J’ai participé à une table rendre sur le journalisme en exil dont vous pouvez lire l’extrais sur RFI :
Journalistes exilés: malgré la contrainte et les menaces, continuer à informer de l’étranger
Pour l'Iranien Rooh Savar, garder un sens de la réalité de son pays d’origine a été l’un des défis majeurs. « Au départ, j’avais une double casquette de journaliste et d’activiste. Mais j’ai réalisé que je commençais à faire des spéculations sur la situation politique en Iran, plutôt que de partager vraies informations sur ce qu’il se passe. »
Depuis la dernière newsletter concernant Benoit Hamon et SINGA, j’ai publié 9 nouvels épisodes de “L’Iran déçu mais debout”. Vous trouviez ci-dessous les liens si jamais vous cherchez des clés de compréhension du système politique iranien et sa complexité au-delà des dépêches sur Twitter :
⏩ 8 - La République islamique, un système politique hybride - (accès membres 🔏)
⏩ 9- L'art d’anticiper une Révolution islamique - (accès libre 🔓)
⏩ 10 - L’émergence de l’ayatollah Khomeiny comme une figure de la spiritualité politique - (accès membres 🔏)
⏩ 11 - La spiritualité politique - (accès membres 🔏)
⏩ 12 - Le concept de velayat-e faqih : innovation théologique, révolution politique - (accès membres 🔏)
⏩ 13 - Quarante-quatre ans après la Révolution islamique, un clergé déconnecté d’une société iranienne moderne et libérale - (accès membres 🔏)
⏩ 14 - L’organisation constitutionnelle du pouvoir en République islamique d’Iran - (accès membres 🔏)
⏩ 15 - Qui est Ali Khamenei, l’ayatollah moderne, le Guide contesté - (accès membres 🔏)
⏩ 16 - Le fonctionnement des fondations sous tutelle du Guide - (accès membres 🔏)
J’écris en même temps une série sur l’Histoire de l’Iran. Le 8e épisode de “Quatre renaissances iraniennes” est également en line :
Persan, farsi ou dari ; elle est la plus vieille des langues modernes - (accés libre 🔓)
Elle est à la fois la plus vieille des langues jeunes et la plus jeune des vielles langues. Quelle est son histoire ? Ses origines ? Il faut dire le persan, le farsi ou le dari ? Bonne lecture !
Étymologiquement, le mot « fârsï » est l'arabisation du mot « pârsï », qui résulte de l'absence de la lettre "P" dans le système phonologique arabe remplacé normalement par F ou B. (exemple : en arabe, Palestine devient Felestine ou Paris devient Baris). Bien qu’il soit devenu courant depuis peu de dire « farsi » à la place de « persan », il est plutôt correct de dire « persan » quand on parle et on écrit en français. La raison est simple : de la même façon qu’en français on ne dit pas « je parle english » mais « je parle anglais » on doit dire « je parle persan » et non pas « je parle farsi ». Sinon on pourrait imaginer qu’il s’agit d’une langue différente de ce dont parle Montesquieu dans ses « Lettres persanes » ou celle qu’Albert Camus évoque dans son roman « La chute ». Bien que les Iraniens disent « fârsï » quand ils parlent dans leur langue (avec un â qu’on étire longuement et qui se rapproche presque d’un O mais aussi un R qu’on roule doucement à l’anglaise mais pas à l’espagnol), nous en français devons prendre soin de dire « le persan » et pas « le farçi !».
⏩Lire de l’article complet
Photo : LP / Olivier Corsan
La jeunesse française issue des migrations, angle oublié de nos médias
Et maintenant, revenons sur les actualités françaises.
Nahel Merzouk, un adolescent de 17 ans a été tué à bout portant par un policier dénommé Florian M. lors d’un contrôle de police suite du refus d’obtempérer de la part de la victime, le 27 juin dernier à Nanterre dans l’ouest de Paris.
Suite à ce drame, une vague de colère a bouleversé les banlieues populaires des grandes villes à travers du pays. Ces contestations spontanées ont été menées par les jeunes de ses quartiers. Les forces de l’ordre ont interpellé des centaines des adolescentes parfois de moins de 15 ans. On a considéré ses événements des “émeutes” et on a appelé ses participants “les émeutiers”. Énormément de dégâts ont été enregistrés dans les villes et les quartiers touchés et des milliers de jeunes ont été interpellés et arrêtés par la police.
Du côté de traitement médiatique, sans surprise, les médias mainstream comptabilisaient à la longueur de la journée les nombres de voitures brûlées sans se soucier de sort des familles des 15 personnes tuées en France après des refus d’obtempérer depuis début 2022. On a entendu sur les antennes de radio et des plateaux de télé, un déchaînement de propos racistes envers cette jeunesse principalement des Français enfants de parents immigrés. Cependant, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a déclaré à la suite de ses événements qu' “ il était temps pour le pays [la France] de s’attaquer aux profonds problèmes de racisme et de discrimination parmi les forces de l’ordre ”.
Je suis déçu de mon journal préféré
Étant journaliste, je suis parmi ceux qui ont adopté la stratégie de “la sobriété informationnelle” depuis des années. Un rapport avec l’actualité parfaitement résumé dans les conseils de Richard Watson qu’on a lu plus hauts.
France Inter est l’un des pièces maîtresses de cette stratégie pour moi. Je commence ma journée non pas avec Twitter mais en écoutant, en live ou en podcast, le journal de 08h00 de cette antenne. Mais ces derniers jours je me suis retrouvé extrêmement déçu du journal dont je suis auditeur depuis plus de 10 ans.
Le 28 juin, le lendemain du drame, le journal commence par... le procès de la vidéo de la masturbation de Benjamin Griveaux datée d'il y a 3 ans. Ce n'est qu'au bout de 5 minutes que le journal s’intéresse à la mort de Nahel pour la premier fois. Mais là, l'angle privilégié est les "violences urbaines" et ensuite la "violence policière" dans sa généralité. Deux sujets en effet très importants. Mais on parle à peine du drame en question, ni la/les victime/s. Et ce rythme continue jusqu’au 4 juillet quand je me suis rendu compte que quelque chose me dérangeait depuis quelques jours avec mon journal préféré.
Depuis la mort de Nahel et les “émeutes”, on a entendu à juste titre sur cette antenne de ministres impliqués, de commerçants dont les magasins ont été saccagés, d’habitants surpris et dépassés par les événements, de sociologues expliquant, parfois avec un certain recul dérangeant, les “émeutes” ou les discriminations subisses par les Français issus des migrations (plutôt de l’Afrique en effet). Pourtant, au micro du journal, on n’a pas entendu une seule fois la jeunesse en colère ni les proches de 15 victimes tuées par les policiers depuis l’année dernière.
Depuis le 28 juin, une seule fois le micro du journal a été brièvement tendu vers deux jeunes d'une asso parisienne (mais pas des banlieues). On n’a rien entendu de la jeunesse des banlieues en "#Emeute". On aurait aussi aimé entendre les familles des précédents victimes de la violence policières sur cette antenne pour mieux comprendre la colère. On comprend bien que France Inter aussi n’a pas vu les émeutes venir et a été surpris par l’ampleur des événements. Néanmoins, ce qu'on attend d'un média de qualité comme France Inter, ce n'est pas seulement de raconter des faits, mais aussi de les éclairer.
Dès le premier jour, la ligne éditoriale du matinal privilégie la piste d'#Emeute que la jeunesse en colère ou l'injustice. On s'intéresse à peine à la raison des événements et encore moins à ses acteurs, mais à ses conséquences. J'aurais bien aimé avoir le temps de comptabiliser la fréquence des mots comme "pillage", "casseurs", "violences urbaines", "vandalisme", “incendie", "dégât".
On peut en déduire que la rédaction du matinal de France Inter ne s'intéressait pas au sujet principal des événements : la jeunesse en colère et révoltée. On s’est pas soucié de faire quelques micro-trottoirs et interviewer certains entre eux. Est-ce que c’était si difficile ? Je me suis demandé plusieurs fois la question suivante :
“Comment peut-on réaliser de reportages de guerre en Ukraine tellement détaillés mais pas aller aux cœurs des "émeutes" et tendre le micro aux participants”.
Je n'ai pas écouté tous les reportages de la chaîne et je suis sûr qu'on peut en trouver quelques-uns, mais pas dans le journal le plus écouté de la France avec 2.5 millions auditeurs chaque matin.
Pour le journal, les victimes privilégiées sont les commerçants, les maires, le service public, parfois les habitants des quartiers ou les parents. (Et on est d’accord qu’ils sont tous des victimes de cet épisode malheureux). Mais on ne reconnaît pas cette jeunesse des quartiers populaires comme le principal victime. Celle qui a le même âge de Nahel, qui vie dans la même condition et les mêmes quartiers que lui et qui y vie la même réalité au quotidien : exclusion, abandonne, discrimination, et enfin, une possible exécution ! Elle n'a pas de visage ni de voix. Elle casse, elle pille, elle incendie. Aux yeux de nos médias, la jeunesse des quartiers, cette étrange créature destructive n’est pas capable de parler. Elle ne mérite pas d’être questionné. Elle existe seulement en tant qu'un élément d'actualité mais elle n'a pas une existence en tant qu’un personnage vivant. Comme si on est face aux zombies (pour la droite) ou des extraterrestres (pour la gauche) qui saccagent nos villes gratuitement et nous, nous sommes incapables de communiquer avec eux. Durant toute cette période malheureuse, ce mode traitement médiatique ne m’a pas permis de connaître un peu mieux cette jeunesse.
Cet angle éditorial n'a pas été réservé à France Inter. Quasiment toutes les chaînes ont traité les jeunes dans les rues de la même manière. Cela est extrêmement décevant.
Dans le cas de France Inter, on peut comprendre que l'angle éditorial de son journal phare est naturellement aligné avec le profil de son public habituel et son point de vue : les acteurs actifs dans la vie politique, culturelle et économique. D'où la fréquence des thermes comme "pillage", "violences urbaines", "vandalisme", "incendie", "dégât" au lieu des mots qui pourront parler à la jeunesse des banlieues comme, "inclusions/exclusion", "justice/injustice", "violence policière", "chômage", "personnes racisées" etc. En effet, France Inter parle avec son propre public. Qui n’est certainement pas le même que la jeunesse en colère ni son entourage. Ce qui m’a alerté c’est qu’en écoutant des médias comme France Inter ou Arte, que j’adore, je risque de m’éloigner de ce public (si ce n’est pas déjà le cas).
Le rôle d'un média n'est pas seulement de raconter les actualités, mais les éclairer. Le journal le plus écouté de la France a raté une occasion pour donner plus de clés de compréhension d’un phénomène important mais aussi renouer ces liens avec une population sans voix.
À lire, à écouter et à regarder :
BISSAI MEDIA
À travers des témoignages authentiques et inspirants, des personnes immigrées et/ou issues de l’immigration se livrent sans filtre et illustrent par leurs récits la complexité, la diversité et la richesse de l’immigration en France.
⏩en vidéo
⏩en article.
Komune
Le média qui te parle d’immigration autrement
⏩ en vidéo
⏩en podcast.
Kiff ta race (un grand classique)
Pourquoi le mot « race » est-il tabou ? Qu’en est-il quand on est, à la fois, victime de discriminations raciales et sexuelles ? Comment assumer son identité plurielle ? Un mardi sur deux, Rokhaya Diallo et Grace Ly reçoivent un·e invité·e pour explorer les questions raciales sur le mode de la conversation et du vécu.
⏩en podcast
Migra-Sons
La migration ne répond pas à une idéologie mais est un postulat. Plutôt qu’un problème à gérer, comment en fait-on un levier de richesse et de vivre-ensemble ?
Migra-sons est un podcast imaginé par So good Radio et accompagné par SINGA. Lors de chaque épisode, le podcast donne la parole à une personne qui a écrit un nouveau chapitre de sa vie en France, qui a fait ou fait rimer migration avec innovation.
⏩en podcast
Suivez aussi les épisodes de mon prochain livre :
Qu’en pensez-vous de tous ça ? N’hésitez pas à me partager vos opinions pour que je puisse enrichir mes prochaines newsletters.
Je tiens à remercier les lectrices et les lecteurs qui m’ont écrit à la suite de mes précédentes newsletters : Léna, Jacques, Julie, Darius, Guillaume, Géraldine, Théo, Behdad, Thomas et Adrien.
Bon été
RoohSavar