Je serai au Sénat pour le débat sur la loi immigration
Cet après-midi, j’aurai la chance d’assister au débat sur le projet de loi asile et immigration qui commencera à 16h au Sénat. Vais-je vivre un trauma ?
L’examen du projet de loi sur l’immigration, l’intégration et l’asile commencera aujourd’hui à 16h au Sénat en séance publique, avec un vote prévu pour le 14 novembre 2023.
Avec les amis de SINGA et Vox Public, on a proposé aux parlementaires pour qu’ils invitent au Sénat les premiers concernés lors du débat sur projet de loi asile et immigration. On y sera pour que les sénateurs voient les visages derrière les mots “immigré”, “réfugiés”, “migrant” etc. Plusieurs sénateurs et sénatrices ont bien confirmé avoir réservé des places pour nous. Je les remercie de ma part.
Nous, quelque peu des nouveaux arrivants en France, allons voir le débat des politiques qui, pour la plupart, sont hostiles à notre présence ici. Ils pensent que nous sommes une “ charge ” pour la France mais pas une richesse. Que nous sommes cette fameuse part de “ la misère du monde ” sur les épaules du pays. Enfin, je ne pense pas que cela soit sincèrement leur fond de pensé. Grâce à leur accès privilégié aux informations et aux données, ils ont mieux placés pour savoir que la somme de l'équation de l'immigration en France est largement bénéfique pour le pays.
“ On ne peut pas s’en passer “
Parlant des donnés et des informations vérifiés, je tiens à vous partager ici les propos Patrick Artus, conseiller économique de Natixis (groupe BPCE).
Face à cette question du magazine Capital, “ l'immigration est-elle nécessaire à l'économie française ? ” il répond qu'elle est non seulement nécessaire, mais indispensable à l’économie française. Elle indispensable pour compenser l’absentéisme au travail en forte hausse avec 6,5% en moyenne de salariés absents par jour contre 4% en 2017 ; et le vieillissement de la population, deux causes pérennes de la baisse de productivité française.
Effectivement, la population en âge de travailler (de 18 à 64 ans) va baisser de près de 8% d’ici 2050, alors que la population totale, elle, va rester stable.
“ S’il n’y a pas d’immigration pour compenser, alors le revenu produit par habitant va chuter, ce qui entraînera une baisse du pouvoir d’achat ”, explique l'économiste contributeur au journal le Monde.
Le débat politique est cristallisé sur la main-d’œuvre immigrée dans les métiers en tension. Patrick Artus, cependant, attire les attentions sur les secteurs “qualifiés”. L’immigration en effet peut remédier à la pénurie de travailleurs qualifiés dont la France soufre en ce moment.
"Les niveaux d’éducation et de qualification de la population immigrée sont, en moyenne, supérieurs à ceux de la population native: 31% des immigrés ont au moins une licence (bac +3), contre seulement 19% pour les Français. Or nous manquons de scientifiques, d’informaticiens, de médecins, etc. Le taux de chômage dans ces métiers est aujourd’hui de seulement 4% en France, soit équivalent au plein-emploi. Si nous voulons plus de travailleurs qualifiés, nous n’avons d’autre choix que de faire appel à l’immigration".
En ce qui concerne la part de la main-d’œuvre immigrée dans les métiers en tension et à la régularisation des travailleurs sans papiers de séjour, Patrick Artus est convaincu que “on ne peut pas s’en passer”. Nous avons besoin d’aides à domicile, de travailleurs dans l’hôtellerie, etc.
Patrick Artus n'hésite pas à déconstruire les préjugés :
"Les études économiques montrent que l’immigration est neutre pour les finances publiques: certes les immigrés consomment davantage de prestations sociales, mais ils paient aussi des cotisations sociales et des impôts, même quand ils ne sont pas régularisés".
Le paradoxe français sur l’immigration
Contrairement à la classe politique qui devient de plus en plus hostile à l'immigration, la société française devient, elle, forte heureusement, de plus en plus tolérante à la présence “des étrangers” et de moins en moins xénophobe. Le Monde publie un article qui illustre concrètement cette réalité réjouissante à travers plusieurs recherches.
Anne Chemin la journaliste du Monde et l'autrice de l'article analyse le paradoxe français sur l’immigration, qui se caractérise par une tolérance de la société, mais un vote à l’extrême droite. Les auteurs, des chercheurs en sciences sociales cités dans ce papier expliquent ce phénomène complexe.
On lit dans cet article les propos du chercheur Vincent Tiberj et l'auteur de l’enquête annuelle de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) :
Depuis trente ans, la tolérance a « considérablement » progressé, souligne-t-il. « L’évolution de l’indice montre que la diversité est devenue à la fois plus banale et plus acceptable », résume le professeur de sociologie à Sciences Po Bordeaux.
En réalité, depuis les années 1980, la tolérance et une conception multiculturelles de la société ne cessent de gagner du terrain en France.
Quelques questions [posés aux Français] permettent de mesurer le chemin parcouru : la part des personnes interrogées qui considèrent que les immigrés sont une source d’enrichissement culturel est passée de 44 % en 1992 à 76 % en 2022 ; la part de celles qui soutiennent le droit de vote des étrangers est passée de 34 % en 1984à 58 % en 2022 ; si elle reste majoritaire, la part de celles qui considèrent qu’il y a trop d’immigrés en France a chuté de 69 % en 1988 à 53 % en 2022.
“ L’opinion sur les immigrés et les minorités s’est améliorée ”, résume la politiste mentionné dans cet article, Nonna Mayer. On lit que “l’indice de tolérance, gradué de 0 à 100, est ainsi passé de 50 au début des années 1990 à 65 à la fin des années 2010, avant d’atteindre, en 2022, le record de 68”.
Depuis trois décennies, la tolérance envers les minorités ethniques, raciales et religieuses progresse à grands pas.
On se demande comment cela peut se produire dans un pays où Marine Le Pen est arrivée à deux reprises au second tour de la présidentielle et où le RN représente le deuxième groupe de l’Assemblée nationale. “ Quelque chose d’étrangement surréaliste” d'après l'article.
“ Si, depuis trente ans, la société accepte de mieux en mieux les minorités raciales et religieuses, la scène politique glisse, elle, vers l’extrême droite. Une contradiction due à la montée spectaculaire de l’abstention des électeurs tolérants et à l’intense stratégie de polarisation sur l’immigration menée par le Front national depuis les années 1980 ”, constate Anne Chemin la journaliste du Monde et l'autrice de l'article.
Comment comprendre ce paradoxe ? Comment analyser ce fossé entre une société de plus en plus ouverte et des élites politiques qui ne cessent de dénoncer haut et fort les ravages économiques, sociaux, religieux et culturels de l’immigration ?
“ Alors que les jeunes grandissent dans un monde multiculturel où le racisme biologique a quasiment disparu, les personnes qui sont aujourd’hui à la retraite ont été socialisées dans une France perçue comme ethniquement homogène où la croyance dans les hiérarchies raciales appartenait au sens commun. Leurs idées reçues ne sont pas un effet d’âge mais de génération ”.
Reste à comprendre le paradoxe d’aujourd’hui : un RN qui ne cesse de remporter des victoires électorales, alors que les Français sont de plus en plus ouverts à la diversité.
L’une des clés de ce mystère réside en grande partie dans l’abstention – ou, plus précisément, l’abstention “ différentielle ” entre les classes d’âge.
Dans une note publiée en 2022 par l’Insee, Elisabeth Algava et Kilian Bloch constatent que, depuis 2002, l’abstention des18-29 ans a augmenté plus fortement encore que celle des autres tranches d’âge. Cette désaffectation engendre une forte déformation du « miroir »électoral : dans les urnes, les plus de 65 ans pèsent de 1,3 fois à 1,5 fois leur poids, les moins de 35 ans entre 0,5 fois et 0,8 fois…
Se basant sur les travaux de plusieurs chercheurs, Anne Chemin l'autrice de l'article insiste sur le rôle des politiques à orienter (ou dévier) l'opinion publique. En effet, les politiques savent que leur électorat est âgé. Or ils adaptent leur discours et leurs stratégies électorales en fonction de cette réalité.
C'est peut-être la raison pour laquelle Caroline Janvier met en garde le gouvernement sur le projet de loi immigration. La députée Renaissance du Loiret, membre de l’aile gauche de la majorité, met en garde le gouvernement contre une accélération du calendrier du projet de loi immigration, après l’attentat d’Arras. Elle estime que légiférer dans un contexte de forte émotion est dangereux et risque de produire des amalgames entre immigration et insécurité. Elle défend l’article 3 du texte, qui prévoit la régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension.
Une société française généreuse et intelligente
Avant d'assister au débat du projet loi asile et immigration cet après-midi, je réfléchis aux Françaises et Français œuvrant pour une société qui embrasse la richesse de l'immigration. Je pense à un papier des Échos que j'ai lu récemment où on parle de plusieurs programmes de grande école pour les étudiants réfugiés. De plus en plus d’universités et de grandes écoles créent des programmes spécifiques pour accueillir et accompagner les étudiants réfugiés, qui ont fui leur pays d’origine pour des raisons politiques, économiques ou sécuritaires. Plusieurs établissements engagés proposent des cours de français, de culture, de sciences, d’informatique, ainsi qu’un soutien à l’orientation et à l’insertion professionnelle. Parmi eux, l’école des Ponts, l’Enib, BSB, Sciences Po ou encore Paris Dauphine.
On découvre également le réseau Migrants dans l’enseignement supérieur (MEnS), qui regroupe 54 membres, dont une quarantaine d’universités et une petite dizaine de grandes écoles. Ce réseau vise à favoriser l’accès et la réussite des étudiants réfugiés dans le supérieur. Cela me rappelle les travaux exceptionnels de deux associations formidables en la matière comme UniR (Université & Réfugiés), et Union des étudiants exilés. Elles sont fondées respectivement par Camila Ríos Armas et Rudi Osman elles-mêmes des personnes en exil.
C'est vraiment dommage que le niveau du débat politique en France soit inférieur à la générosité et l'intelligence de nos concitoyens. Et c'est encore plus dommages que les gens plus ouverts à la diversité soient ceux qui votent le moins.
J'hésite jusqu'à la dernière minute pour assister à cette séance au Sénat. Je sais qu'on va entendre des propos insensés à l'égard des nouveaux arrivants dans ce pays. Va-t-on vivre un trauma. Mais un trauma de plus ne nous écrasera pas. J'ai vécu pire dans ma vie. Paradoxalement, j'ai une folle envie d'aller voir les gens qui ne veulent pas des gens comme moi. Et admirer celles et ceux qui se battent et débattent pour nous.
Et vous ? Auriez-vous de message à faire passer à nos sénateurs ?
Merci Rooh pour cet article. Faisons voter les jeunes donc et...courage à toi pour la séance ! Hâte de lire ton témoignage.
Frédérique Malefant