Conclave immigration : 48h de débat pour un nouveau projet de société
Le sort de Kilmar, l'immigré emprisonné "par erreur" révèle les dangers d'un système défaillant. Le conclave propose une alternative où nouveaux arrivants et citoyens construisent un avenir inclusif.
Chers lecteurs et lectrices,
Ces derniers jours, j'ai eu l'honneur de participer à une initiative rare dans notre paysage politique actuel : un conclave sur l'immigration réunissant une trentaine de personnalités et de différente sensibilité de gauche et de la société civile, déterminées à affronter ce sujet devenu si sensible et trop souvent abandonné aux narratifs identitaire ou sécuritaire de ses opposants, ou parfois réduit par une approche humanitariste de ses partisans.
Repenser notre récit collectif
C'est dans les locaux du Nouvel Obs, pendant deux jours intenses, que nous nous sommes retrouvés autour d'une table pour relever ce défi. Anciens ministres, député-e-s, responsables associatifs, chercheurs – tous unis par une conviction commune : il est temps pour la gauche de sortir de sa posture défensive sur l'immigration.
J'y ai pris la parole avec une conviction qui m'habite depuis longtemps :
"Nous les progressistes, on n'est qu'en réaction. Il n'y a pas de projet de société qui intègre l'immigration."
Cette observation a résonné particulièrement, car elle touche au cœur de notre difficulté collective. Depuis trop longtemps, nous nous contentons de répondre aux discours alarmistes, sécuritaire ou identitaire sans proposer notre propre vision.
Reportage complet à lire dans Nouvel Obs : 👇🏼
Comment contrer le discours hostile à l’immigration ? Les réponses du « conclave » de la gauche
Organisé par Pierre-François Grond, Samuel Grzybowski, Daniel Kaplan, Christian Paul et Delphine Rouilleault, le conclave s'est voulu un espace de dialogue sans tabous. Des vidéos témoignant des inquiétudes de Français ordinaires ont ouvert nos échanges – un moment inconfortable mais nécessaire qui nous a rappelé l'ampleur de la bataille culturelle perdue dans l'opinion publique.
Nos discussions ont abouti à douze propositions concrètes qui redessinent un horizon progressiste sur l'immigration : refonte du système d'accès au séjour, enseignement systématique du français, expérimentation d'une territorialisation des politiques d'accueil, et même ma proposition de parrainages citoyens pour accompagner les parcours vers la citoyenneté. Cette première pierre posée devra être suivie d'autres initiatives pour construire un récit alternatif qui ne cède pas aux discours sécuritaires.
La réalité d'un durcissement migratoire
Les données publiées récemment par Le Monde confirment une tendance préoccupante dans notre politique migratoire. Avec 336 700 premiers titres de séjour délivrés en 2024 (un chiffre stable), nous observons simultanément une chute significative des régularisations (-10%, soit 31 250 cas) et une augmentation alarmante des expulsions (+26,7%, touchant 21 601 personnes).
Cette évolution s'accompagne d'un durcissement législatif, illustré par le projet de loi porté par Bruno Retailleau visant à prolonger la rétention administrative des étrangers jugés "dangereux". Ce texte soulève d'importantes questions sur la multiplication des réformes – alors que la précédente loi sur l'immigration date de moins d'un an – et sur l'équilibre fragile entre impératifs sécuritaires et respect des droits fondamentaux.
Cette arithmétique froide des politiques migratoires masque une réalité humaine complexe. Derrière chaque statistique se cache une histoire, un projet de vie interrompu ou détourné.
L'affaire Kilmar Abrego Garcia : une bataille juridique, un symbole politique
Kilmar Abrego Garcia, Salvadorien de 29 ans légalement établi dans le Maryland avec son épouse américaine Jennifer, est devenu le symbole des dérives de la politique migratoire de l'administration Trump.
Arrivé adolescent pour fuir les gangs salvadoriens, Kilmar possédait un permis de travail et poursuivait une formation de chaudronnier. Le 12 mars 2025, il est arrêté lors d'un contrôle routier par l'ICE puis expulsé trois jours plus tard vers le Salvador avec 250 autres personnes, malgré l'annulation de son ordre d'expulsion par un tribunal fédéral en 2019 – une "erreur administrative" reconnue ultérieurement.
Transféré au centre pénitentiaire de haute sécurité CECOT, qualifié de "trou noir" des droits humains par les ONG, Kilmar est incarcéré sans accusation précise. Les autorités américaines l'ont présenté comme membre du MS-13 sans preuves concrètes, des allégations que la juge Paula Xinis qualifiera de "vagues et non corroborées".
Le 10 avril 2025, la Cour suprême ordonne unanimement son retour aux États-Unis, jugeant son expulsion "illégale". Malgré cette décision, la Maison Blanche et le président salvadorien Nayib Bukele refusent de céder. Le sénateur Chris Van Hollen, après avoir visité Kilmar le 18 avril, confirme son transfert vers un centre moins sévère mais dénonce une "violation des droits constitutionnels".
Cette affaire illustre les conséquences d'une politique migratoire privilégiant les expulsions massives au détriment des procédures légales. Pendant que son épouse Jennifer poursuit le combat pour son retour, Kilmar reste prisonnier d'un enjeu diplomatique devenu hautement politique.
Notre vulnérabilité contre ces "erreurs administratives"
Je tremble en lisant le récit de Kilmar Abrego Garcia, car son histoire pourrait être la mienne demain. Bien que résidant légalement en France avec un statut de réfugié politique, je constate avec effroi comment un simple contrôle routier peut se transformer en cauchemar administratif, même pour une personne en situation régulière. Ce qui m'inquiète particulièrement, c'est la facilité avec laquelle les protections juridiques peuvent être ignorées au nom d'objectifs politiques - Kilmar avait vu son ordre d'expulsion annulé par un tribunal, ce qui n'a pas empêché son renvoi illégal suivi d'une incarcération sans charges précises.
La dimension internationale de cette affaire révèle également la fragilité de notre situation : nous sommes pris entre deux systèmes judiciaires, dépendants d'accords diplomatiques et de volontés politiques que nous ne contrôlons pas. Même lorsque la plus haute juridiction américaine a ordonné le retour de Kilmar, l'administration Trump et le gouvernement salvadorien ont fait obstruction, transformant un homme ordinaire en symbole politique. Cette réalité me rappelle que mon statut de protection, aussi officiel soit-il, pourrait être remis en question par un changement de politique migratoire ou une simple "erreur administrative" dont les conséquences seraient dévastatrices pour ma vie et celle de mes proches.
En tant que réfugié politique vivant en France, je vois dans des initiatives comme le conclave sur l'immigration une réponse nécessaire aux dérives illustrées par l'affaire Kilmar Abrego Garcia. Face à ces "erreurs administratives" qui peuvent bouleverser des vies légalement établies, l’ambition des participants dans le conclave était de replacer l'immigration dans un cadre de droits fondamentaux plutôt que de sécurité publique.
Un nouveau projet de société ?
Ma compréhension des débats durant deux journées du conclave était celle-ci : il cherche à construire un projet de société gagnant-gagnant, où les nouveaux arrivants comme les citoyens de la société d'accueil participent ensemble à la création d'un avenir commun. Cette vision progressiste reconnaît notre contribution économique et culturelle tout en établissant des garanties juridiques solides contre les entraves et bafouages arbitraires, permettant à tous les membres de la société - immigrés et natifs - de se projeter dans un développement collectif où chacun trouve sa place et sa dignité.
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Rooh Savar
Participantes et participants au conclave :
• Pouria Amirshahi, député
• Léa Balage El Mariky, députée
• Habiba Bigdade, Ligue des Droits de l’Homme
• Fanélie Carrey-Conte, ancienne députée
• Lucie Castets, haute fonctionnaire
• Vincent Chauvet, maire d’Autun (Saône-et-Loire)
• Pierre Coppey, président de l’association Aurore
• Guillaume Duval, journaliste
• Frédéric Gilli, économiste, agence Grand Public
• Pierre-François Grond, organisateur
• Samuel Grzybowski, organisateur
• Sylvie Guillaume, présidente de Forum Réfugiés, ancienne VP du Parlement européen
• Daniel Kaplan, organisateur
• François Lamy, ancien ministre de la Ville
• Ophélie Madinier, rapporteure
• Modibo Massaké, éducateur spécialisé
• Christian Paul, organisateur
• Audrey Pulvar, journaliste, adjointe à la maire de Paris
• Ali Rabeh, maire de Trappes (Yvelines)
• Tania Racho, association Désinfox-Migrations
• Gérard Ré, membre du Bureau confédéral de la CGT
• Alan Régnier, ancien délégué interministériel à l’Accueil et à l’intégration des réfugiés
• Camila Ríos-Armas, cofondatrice d’UnIR
• Rose Rondelez, université de la Pluralité
• Delphine Rouilleault, organisatrice
• Laurent Sablic, journaliste, agence Grand Public
• Rooh Savar, président de SINGA Global
• Najat Vallaud-Belkacem, présidente de France Terre d’Asile